Si 536 apr. J.-C. est souvent décrite comme "la pire année", de récentes recherches nuancent les récits catastrophiques autour de cette période, révélant une prospérité inattendue dans l'Empire romain d'Orient en cette époque.

Catastrophes naturelles, baisse des températures mondiales, maladies… Les évènements de 536 apr. J.-C. ont conduit les historiens à qualifier l'année de "pire de l'histoire de l'humanité". Pourtant, une étude publiée en libre accès dans Kliodémontre que les affirmations selon lesquelles le climat et l'épidémie de peste ont eu des conséquences des plus catastrophiques sont incorrectes. D'après les résultats de ses auteurs, développés dans The Conversation le 23 décembre 2024, elles se basent sur des découvertes isolées et des études de cas limitées, extrapolées à l'ensemble de l'Empire romain d'Orient.

Pourquoi 536 a été considérée comme la pire année de tous les temps ?

D'autres dates pourraient prétendre au titre officieux de "pire année de l'histoire de l'humanité". L'une entre 1347 et 1351, marquée par la peste noire qui a ravagé l'Asie, l'Europe et le nord de l'Afrique, décimant entre 30 % et 50 % de la population européenne. L'année 1916, avec certaines des batailles les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale, Verdun et la Somme, l'offensive Broussilov, l'affrontement naval du Jutland… "L'année sans été", 1816, secouée par une chute drastique des températures mondiales à la suite de l’éruption du volcan Tambora en Indonésie – la plus violente jamais enregistrée –, provoquant famines, épidémies et conflits meurtriers liés aux pénuries alimentaires.

Tout comme en 1816, en 536, l'Europe, le Moyen-Orient et certaines régions d'Asie se voient plongés dans l'obscurité durant 18 longs mois. "Le Soleil a donné sa lumière sans éclat, comme la Lune", écrivait l'historien byzantin Procope de Césarée (500-565) cette année-là.

Une éruption volcanique en Islande ou sous les tropiques aurait en effet créé un voile de poussière, bloquant les rayons de l'astre. À l'été 536, les températures moyennes chutent de 1,5 °C à 2,5 °C dans l'hémisphère nord, inaugurant la décennie la plus froide des 2 300 dernières années. Dans les carottes glaciaires prélevées au Groenland et en Antarctique, les scientifiques ont retrouvé des couches de sulfate datant de 533-534 apr. J.-C.±2 ans, preuve de la brume acide étendue qui recouvrait le monde.

Hivers rigoureux, mauvaises récoltes, famines généralisées… Ces évènements climatiques n'ont pas été sans conséquence. D'autant que, rappellent les auteurs du nouveau papier, une autre série d'éruptions volcaniques massives est survenue la décennie suivante, en 540 et 547.

La période 541-544 est aussi marquée par la première (et la plus grave) occurrence de la peste bubonique de Justinien. La première pandémie connue causée par le bacille Yersinia pestis est responsable de la mort de millions d'individus dans un Empire romain d'Orient sur le point de décliner. Pour cause, ce dernier fait simultanément face aux invasions des peuples dits "barbares". De 537 et 538, Rome se voit même assiégée par les Ostrogoths, qui se verront finalement définitivement battus en 553.

Après l'an 536, l'ombre d'une catastrophe… sans déclin ?

Il a longtemps été estimé que cette période très troublée aurait entraîné une crise économique durable. Et ce, jusqu'en 640 environ, où un pic de plomb détecté dans les glaces semble indiquer une reprise de l'exploitation minière d'agent, révélait une étude de la revue Antiquity (2018).

En réalité, suggèrent les dernières recherches en date, le déclin démographique et économique aurait été moins important que supposé. Pour parvenir à cette conclusion, les experts se sont nouvellement appuyés sur des données à petite échelle – l'analyse de sites spécifiques – et à grande échelle. Elles incluent les bases archéologiques compilant des milliers de sites, de résultats de fouilles et de découvertes d'épaves (pour évaluer le commerce naval).

Ces données, couvrant des régions variées (Israël, Tunisie, Chypre, Turquie, Égypte, Grèce et la Jordanie), montrent une prospérité continue au VIe siècle, avec un "record" en termes de population et de commerce dans l'est de la Méditerranée. Le déclin réel se serait finalement produit au VIIe siècle, "ce qui exclut tout lien avec un changement climatique soudain ou la peste survenus plus de cinquante ans auparavant", expliquent les chercheurs. Cette chute plus tardive pourrait, selon eux, s'expliquer par des erreurs stratégiques romaines et des défaites face aux Perses. La région s'est vue plongée "dans une spirale descendante" et les deux empires, affaiblis, ouvrant la voie à la montée de l'islam.

Un climat qui façonne tout de même l'histoire de l'humanité

Toutefois, nuancent les auteurs de l'étude, cela ne signifie pas que les changements climatiques entourant l'an 536 n'ont pas alors fortement impacté certaines régions du monde. Sur les sites scandinaves du milieu du VIe siècle, où leurs conséquences ont été plus marquées, les archéologues observent des transformations visibles dans la culture matérielle et un déclin général. Au Danemark, l'évènement survenu il y a 1 500 ans pourrait même avoir inspiré le mythe du Ragnarök et conduit à l'invention du pain de seigle, d'après une étude.

Dans The Conversation, les chercheurs concluent finalement par un signal d'alerte : "la crise climatique actuelle promet des bouleversements bien plus importants que ceux observés par le passé", écrivent-ils. "Les fluctuations environnementales modernes, bien plus prononcées que les variations historiques, ont le potentiel de transformer le monde de manière irréversible."

GEO

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